dossier
L'été arrive. Une saison où l'on vit à un
autre rythme, une saison pour souffler, respirer, profiter de temps plus libre
pour sortir ou recevoir, pour partir ou demeurer, pour faire des rencontres, ou
retrouver une paix intérieure. Nul besoin de faire beaucoup de kilomètres,
il suffit d'ouvrir des livres inspirés, comme ceux de Christian Bobin,
par exemple, ou la Bible, tout simplement ; on peut aussi aller à
l'abbaye de Venière, toute proche, un lieu propice au recueillement, à
la contemplation. On peut aussi écouter de la musique, la respiration de
l'âme. Cet été, à vous de découvrir la vie qui
va avec.
Henry
Méchin
En musique « La respiration c'est
la vie » !
« Toute la grâce et la beauté
de la musique dépendent de la respiration », déclare Daniel
Gaudet spécialiste lyonnais de la musique. Olivier Messiaen a analysé
la respiration en musique et en a défini les trois phases. Calquée
sur la respiration physiologique arrive d'abord l'inspiration profonde ou «
anacrouse » qui conduit à l'accent, avant la retombée ou «
désinence ». C'est à l'époque de la Renaissance que ce
rythme s'est mis en place. Il a varié ensuite suivant les époques.
Pendant la période baroque les respirations sont resserrées
courtes, plus longues à l'époque classique et très longues à
l'époque romantique. Sans respiration la musique devient mécanique
et perd son âme. « Dans le chant grégorien l'anacrouse est
importante car elle symbolise la montée vers Dieu, mais il n'y a pas de
retombée », conclut ce musicien.
Agnès Gonnot
Une visite à Christian Bobin, un poète inspiré
Christian Bobin habite près du Creusot. Il a écrit de très nombreux ouvrages ; citons Le Très Bas, ou encore Ressusciter. La prise de contact fut laborieuse, notre poète n'utilisant qu'avec modération les moyens de communication modernes. D'où l'impression positive d'avoir « gagné » ce contact ; Christian m'accueille dans sa jolie maison aux volets bleus tout au fond des bois, pas très loin de Saint-Sernin. Un accueil simple et chaleureux.
Christian, dans un de vos livres, Ressusciter,
vous écrivez : « Je ne crois plus à l'amour parce que je ne
crois qu'à l'amour. » Que voulez-vous dire ?
Le mot «
amour » est dévalué, il a trop servi : les chrétiens
en parlent trop, le monde le galvaude, en fait du commerce. Pour moi, l'amour
est une chose qui vient après beaucoup de luttes, de douleurs. Une sorte
de clairière. Mais pour l'atteindre, il faut traverser une forêt
bien sombre, celle de notre monde. Je vous conseille, là-dessus, le récent
livre de Lytta Basset : Aimer sans dévorer
. Alors pessimisme face au monde ?
La Bonne Nouvelle ne vient que par la Bible. Le monde, lui, ne change pas. Le
monde est un arbre mort sur lequel on ne peut s'appuyer. C'est un écran
entre la personne et son coeur. L'argent, la possession, autant de masques. Nous
vivons un état de naufrage. Mais je suis confiant, quelque chose reste
hors d'atteinte du monde : c'est l'âme. Elle ne s'éteint pas. C'est
elle qui lutte contre le monde.
Quelle est votre espérance ?
Je crois que toute vie humaine s'inscrit dans le temps d'un Évangile :
d'abord, rien, puis l'annonciation, l'incarnation, l'errance, la révélation,
le Golgotha puis la résurrection. Les plus belles choses doivent être
conquises. Une croissance dure, exigeante. À l'image de la fleur qui doit
lutter pour croître, qui va vers la lumière. L'homme doit se faire
petit à petit. Mettre en forme le meilleur. Rien n'est parfait au départ.
Comment faire évoluer l'homme ? Pas de prosélytisme, pas de
sermons. Par l'exemple. Par une longue patience attentive. Exposer sa manière
de vivre.
Vous dites : « Croyez seulement à
ce que j'ai vu car je l'ai réellement vu. »
Mon
travail, c'est regarder, témoigner avec précision de ce que je
vois. Par exemple, j'aime décrire les très petits enfants, leurs
yeux ouverts et étonnés, jouant avec leurs lacets de chaussures
La poésie n'est pas un genre littéraire, elle est l'expérience
spirituelle de la vie, la plus haute densité de précision. La précision,
c'est la sainteté de l'âme.
Propos recueillis par Antoine Buffet .
L'abbaye Notre-Dame de Venière
Un beau lieu pour reprendre souffle
Je suis reçu par soeur Martine, au visage souriant et apaisé.
L'abbaye Notre-Dame, me rappelle-t-elle, se conforme à la règle de
saint Benoît. Une règle qui, bien qu'établie il y a 1 500
ans, reste bien vivante autour de cinq grands principes : Écouter, prier,
vivre ensemble, obéir, travailler, que Saint Benoît récapitule
par son « ora et labora ».
Prier ? C'est la louange du Seigneur
dans la liturgie des heures, la prière silencieuse, la « lectio
divina » lecture attentive de la Bible : écoute de Dieu voulant nous
parler.
Travailler ? Nous devons vivre du travail de nos mains : ateliers
de peinture, ateliers de vêtements liturgiques, vie et services de la
maison. Notre abbaye maintient sa tradition d'hospitalité et même
la renforce. Elle peut accueillir tant des simples retraitants que des groupes :
groupes de jeunes se préparant à la confirmation, groupes
d'adultes venant se ressourcer, équipes Notre-Dame, jeunes professionnels
Nous accueillerons bientôt, nous dit-elle, un groupe de pèlerins
montcelliens venant méditer sur saint Benoît. Hospitalité
plus proche lorsque nous aidons des groupes à préparer leurs célébrations
paroissiales par un partage des textes et la « lectio divina ». Mais
ces retraites sont surtout dédiées à la prière,
individuelle ou collective : participation aux offices, lecture des textes, prière.
Soeur Martine est heureuse de me faire visiter la toute nouvelle hôtellerie
inaugurée en 2010 : dotée de vingt chambres (respectant toutes les
règles de confort et d'hygiène) et d'un bel oratoire aux vitraux
dessinés par une des soeurs. Belle illustration de cette hospitalité
qui se veut toujours vivante.
Antoine Buffet
Contact Abbaye Notre-Dame de Venière 71 700
Boyer Tél. 03 85 51 05 85 nd.veniere@orange.fr
Au bout du Souffle, dans la Bible
Paradoxalement, c'est dans l'Ancien Testament que le souffle est le plus présent
! Tout au moins, par le mot lui-même. Pour commencer, c'est par le souffle
de Dieu que la vie est donnée à l'homme : « Dieu modela
l'homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses
narines le souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. » (Genèse
2, 7). Un souffle de vie dont se souviendra le prophète Job, du fond de
son malheur : « Souviens-toi, Seigneur : ma vie n'est qu'un souffle, mes
yeux ne verront plus le bonheur. » (Job 7, 7).
Pour le psalmiste
aussi, le souffle est ce qui matérialise la vie, avec tout ce qu'elle a
d'éphémère : « Qu'est-ce que l'homme, pour que tu le
connaisses, Seigneur, le fils d'un homme, pour que tu comptes avec lui ? L'homme
est semblable à un souffle, ses jours sont une ombre qui passe. »
Plus loin, l'amoureux, du Cantique des cantiques, donnera à ce souffle
une note fruitée, dans la bouche de sa dulcinée : « Tes
seins, qu'ils soient des grappes de raisin, le parfum de ton souffle, celui des
pommes ».
Plus prosaïquement, les prophètes Isaïe, Jérémie,
ou encore Ezékiel, évoqueront à de nombreuses reprises le
souffle comme un vent brûlant, qui dessèche, « tel un feu qui
dévore ». Le souffle, dans l'Ancien Testament, n'est pas encore une
respiration : il vient de Dieu, certes, mais passe, et se retire.
C'est
dans l'Évangile de Jean que l'on trouve la plus belle évocation du
souffle, comme métaphore de l'Esprit créateur, comme manifestation
de la puissance divine. Ainsi, dans son entretien avec Nicodème, le
notable parmi les Juifs, Jésus lui dit, à propos d'une «
seconde naissance » : « Le vent souffle où il veut : tu entends
le bruit qu'il fait, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il
va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l'Esprit. »
Ici le souffle tourne, circule, comme une brise légère qui
caresse, anime, fait vivre et revivre ; le souffle est devenu vie, et promesse
de vie éternelle.
Jésus conclut ainsi son entretien avec
Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné
son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais
il obtiendra la vie éternelle. La Bible, à n'en pas douter, est un
livre, ou plutôt une bibliothèque, qui ne manque pas de souffle !
Une raison de plus pour l'ouvrir, l'aérer, la lire, et en apprécier
la fraîcheur.
Henry Méchin